Extrait d’un texte publié par la revue « l’Outre-Forêt » – Revue du Cercle d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace du Nord, n° 113, 2001.
Un herbier, trouvé dans un grenier à Wissembourg et constitué vers 1870, rassemble deux collections : (i) un herbier de plantes supérieures (fougères et plantes à fleur) de la région proche de Wissembourg, plantes récoltées par une personne entre 1870 et 1871, et (ii) une collection d’une centaine de cryptogames (lichens, algues, champignons, mousses et hépatiques), reçues ou achetées dans le cadre des Sociétés d’Echanges de plantes. Cet herbier était déposé aux archives de Wissembourg. L’analyse de ces deux herbiers montre que, outre les spécimens personnels du propriétaire de l’herbier, d’autres spécimens ont été récoltés par une trentaine d’autres botanistes, avec souvent 1 seul exsiccata (1) par collecteur. Parmi ces botanistes, 17 sont répertoriés par « l’Association Internationale de taxonomie botanique ». Un troisième herbier, plus récent, avec 10 spécimens des années 1940, provient probablement du nord de l’Italie. L’herbier de Wissembourg et de ses environs est intéressant car il donne une image de la flore spontanée de cette époque, avec plusieurs espèces remarquables maintenant disparues. L’herbier de cryptogames est historiquement plus important car il rassemble des spécimens de botanistes de renommée mondiale et montre l’intensité des échanges entre botanistes et collectionneurs à cette époque.
(1) Exsiccata = spécimen de plante sèchée = échantillon d’herbier.
Une collection de plantes séchées et annotées ou herbier, a été découverte récemment à Wissembourg dans les archives de la mairie. Cet herbier provient d’un grenier voisin des archives de la commune. Le Conservateur des archives municipales, M. Bernard Weigel, a proposé de déposer cette collection à l’herbier de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg (STR) afin de le dépouiller, d’en faire l’analyse et de le mettre à la disposition de la communauté scientifique régionale et internationale. L’herbier de Strasbourg est reconnu par l’Association Internationale de Taxonomie Botanique.
Wissembourg et l’Outre-Forêt forment un centre botanique très florissant dès le 16ème siècle avec des savants naturalistes comme Jacob Théodore Tabernaemontanus (1520-1590). Originaire de Bergzabern, localité du Palatinat située à quelques kilomètres de la frontière au nord de Wissembourg, Tabernaemontanus publia un « Kraüterbuch » en 1588 qui comprend non seulement les plantes médicinales, mais également de nombreuses autres espèces, avec des indications sur leurs localités, leurs noms dans différentes langues européennes et surtout de nombreuses figures gravées sur bois. Cet ouvrage, très célèbre, fut de nombreuses fois réédité, jusque vers le milieu du 18ème siècle. La version de 1731, l'une des toutes dernières, a été revue par Caspar Bauhin de Bâle. Tabernaemontanus a été pharmacien à Wissembourg, puis médecin de l'évêque de Spire et botaniste à Heidelberg. On lui doit la découverte de la Pulsatille alpine (Pulsatilla alpina) et du Liondent des Pyrénées (Leontodon pyrenaicus) dans les Hautes-Vosges.
Wissembourg au milieu du 19ème siècle est toujours une place botanique importante avec la présence de F.W. Schultz (1804-1876) et de P.J. Müller (1832-1889), qui ont publié ses observations floristiques sur la région en 1854 (P.J. Müller 1854 ; 1855 ; 1858 ; 1859 ; 1860 ; 1861 ; 1866). Auparavant, le Dr. Pauli et M. Wolwerth, pharmacien, ont publié un catalogue des plantes des plantes les plus remarquables du canton de Wissembourg (in F. Kirschleger, 1857). On leur doit entre autres les découvertes de Althaea hirsuta, Melampyrum cristatum et Luzula forsteri plantes des milieux secs et calcaires et de Salix repens plante de milieux plus frais.
Friedrich-Wilhelm Schultz (1804-1876) était pharmacien comme F. Kirschleger. J.C. Genot en a présenté une courte biographie en 1995. Ce botaniste allemand, né dans le Palatinat voisin (à Zweibrücken) le 3 janvier 1804, dut quitter l'Allemagne en 1832. Installé d'abord à Bitche, il se consacre essentiellement à l'étude des plantes de la région. Après avoir vendu sa pharmacie, il devient professeur de dessin au collège Saint-Augustin de Wissembourg. Il publia en 1846 la « Flora der Pfalz » qui englobe le nord de l'Alsace. On lui doit la découverte et la description de plusieurs dizaines d'espèces nouvelles pour la science, plantes originaires non seulement de notre région, mais également d'autres pays. Il était un spécialiste internationalement reconnu pour ses travaux sur les Orobanche. Il publia de nombreux travaux de botanique (F.W. Schultz 1836-1840 ; 1840 ; 1842-1848 ; 1846 ; 1863 ; 1866 ; 1868). Fritz Schultz est mort le 30 décembre 1876 à Wissembourg. Son herbier, très important, est déposé à Paris, avec des doubles dans un grand nombre d’institutions botaniques.
F.W. Schultz récoltait des centuries et les distribuait sous divers noms de collection. Les premières centuries de 1 à 16, récoltées entre 1836 et 1852 étaient intitulées « Flora Galliae et Germinae exsiccata » ou « Herbier des plantes rares et critiques de la France et de l’Allemagne, recueillies par la Société de la Flore de France et d’Allemagne, publiée par le docteur F. Schultz ». La seconde série de centuries, a été récoltée de 1856 à 1869, avec F. Winter et était distribuée sous le nom de « Herbarium (europaeum) normale » ou « Herbier des plantes nouvelles peu connues et rares d’Europe, principalement de France et d’Allemagne ». Ferdinand Winter (1835-1888) a récolté des bryophytes et des lichens en Allemagne (Sarre), en Suisse et dans les Pyrénées. Ses herbiers sont à Berlin et à Bonn essentiellement. Enfin, une troisième série de centuries a été distribué en 1874, avec des suppléments pour les deux premières séries.
Par la suite, le travail la plus notable est celui de W. Petzold, qui publie en 1879 un inventaire de la flore de Wissembourg et de ses environs. Karl Wilhelm Petzold (1848-1897) est un botaniste et géologue allemand originaire de Saxe. Docteur en Philosophie de Halle (1876), il fit la campagne de France (1870-1871). Professeur d’abord à Neu-Brandebourg (1874-1877), il enseigna ensuite à Wissembourg (1877-1879), puis à Braunschweig (1880-1897).
Ensuite, la région de Wissembourg ne semble plus avoir fait l’objet de travaux botaniques d’envergure. Citons cependant les publications de R. Engel, (1958, 1984, 1993), R. Engel et E. Kapp (1959, 1961, 1964), F. Geissert, F. Ménilet et al. (1976) ; R. Engel, S. Muller, P. Wolff, (1979), F. Steimer, (1982), A. Simon (1982) ; R.U. Roesler, (1982), A. Braun (1993) ; F. Erdnüss, (1995), G. Jaehn, (1999) ainsi que les travaux préparatoires à la mise en protection du Marais d’Altenstadt présentée en annexe 1 (Anonyme, s.d. ; B. Ramey, 1981), les rapports sur la gestion de ce site par le Conservatoire des Sites Alsaciens (G. Grandet, 1998) et l’ Inventaire des richesses naturelles du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord. du P.N.R.V.N. (1995). Par contre, le Palatinat possède depuis 1993 un remarquable atlas floristique (W. Lang, P. Wolff, 1993), qui déborde largement sur la frange nord du Bas-Rhin et de la Moselle et le Pays de Bitche, cette petite région très complexe a été très étudiée par S. Muller (1985 ; 1986).
Près de quarante espèces, sous-espèces, variétés ou formes de plantes, nouvelles pour la science, ont été décrites à partir de spécimens de plantes collectées à Wissembourg et dans ses environs. Cette profusion montre l’importance de l’Outre-Forêt et de ses naturalistes dans l’histoire générale de la botanique. On notera plus particulièrement la quantité de ronces nouvelles décrites par P.J. Müller ainsi que les nombreuses plantes publiées par F.W. Schultz.
(2) L’Outre-Forêt est la petite région située au Nord de l’Alsace, entre la Forêt de Haguenau, le Rhin, la Lauter et les Vosges du Nord.
Un herbier est une collection de plantes pressées, séchées et collées sur un support rigide. A ce spécimen végétal est obligatoirement associé une étiquette indiquant le nom scientifique de la plante, la date et le lieu de collecte, souvent le nom du collecteur et parfois d’autres indications sur la morphologie et la couleur de la plante vivante, des renseignements d‘ordre ethnologique et des informations sur le lieu de la collecte et l’écologie de la station.
L’herbier de Strasbourg rassemble près de 400 000 spécimens de plantes, dont la moitié environ a été récoltée en Alsace. Une autre partie, appelée Herbier général, concerne le monde entier, avec environ 10% de spécimens européens, les autres provenant d’Afrique surtout, d’Amérique du Sud et du Proche-Orient. Un herbier est scientifiquement utilisable lorsque la plante séchée est complète, en bon état et accompagnée d’une étiquette indiquant le lieu et la date de récolte, le milieu ou la formation végétale de la station de collecte, ainsi que d’autres informations (nom vernaculaire, usage, renseignements sur la morphologie de la plante, la couleur des fleurs, etc.). Le nom du collecteur ou de la collections est souhaitable, ainsi qu’un numéro d’ordre de la récolte. Par contre, le nom de l’espèce n’est pas obligatoire car il se déduit de l’observation des caractères du spécimen et peut donc être vérifié avant l’exploitation scientifique.
L’herbier de Wissembourg rassemble la plupart de ces informations et est donc scientifiquement utilisable. Une collection même réduite mais récoltée à une date précise et dans une petite zone d’Alsace donne des informations précieuses sur la flore de l’époque considérée, mais aussi sur la pratique des collections botaniques. L’analyse de l’herbier de Wissembourg apporte des renseignements intéressants.
L’herbier est composé de trois parties inégales :
Wissembourg (3) et son arrondissement comptent environ 73 000 habitants dans la seconde moitié du 19ème siècle soit 12% de la population du Bas-Rhin, ce qui est considéré comme étant un indice de surpeuplement pour une zone à dominante rurale et par conséquent une zone d’émigration (G. Wackermann, 1976). De nombreux habitants d’Oberseebach, par exemple, ont quitté l’Alsace pour la Russie puis pour l’Algérie durant le Second Empire (Seebach, 1984). Wissembourg atteint environ 6 500 habitants (C. Grad 1889 ; B. Weigel, 1986). Cette petite ville était reliée par chemin de fer à Strasbourg depuis 1855. Deux trains faisaient la navette quotidienne entre les deux villes, mais s‘il était facile pour un strasbourgeois de passer une journée à Wissembourg (aller : départ 6h 15, arrivé 8h 26 ; retour : départ 18h 55, arrivé 21h 51), le contraire était plus difficile, car le train de Wissembourg arrivait à 11h 55 à Strasbourg et repartait à 13h, ce qui ne laissait qu’une heure à peine à Strasbourg. La vie à Wissembourg à cette époque a été décrite par le sous-préfet E. Hepp (1887).
Le paysage agricole était varié, avec la culture du blé, du froment, du colza et du tabac, un vignoble sur les collines, un élevage dans les zones plus humides (vaches et chèvres, oies) et d’importants vergers de fruitiers (Seebach, 1984). La forêt des Vosges du Nord est très proche et ferme le paysage vers l’ouest.
L’herbier est « semi-professionnel », les noms des plantes sont en latin scientifique, des indications sur la localité, la date et la formation végétale de collecte sont portées à même la planche. Par contre, les spécimens ne sont pas numérotés et le nom du collecteur n’est pas indiqué. Un autographe de l’étiquette est présenté. L’herbier contient 120 spécimens grand format (27 x 47 cm) et 34 spécimens petit format (20 x 30 cm), essentiellement de la région proche de Wissembourg, et quelques spécimens d’autres collecteurs dont le plus important est F.W. Schultz. Les 4 spécimens de F.W. Schultz ont été rassemblés d’abord dans l’Herbier Ch. Lecomte.
Les principales localités collectées sont (toponymie 1870-1871) :
Note : le * indique que la localité a été trouvée sur les cartes IGN actuelles de la région. (cartes au 1/25 000 et 1/50 000). Fleith et Neff (1996) ont précisé les toponymes du cadastre de Schleithal.
Le Bruch est une enceinte ouest de la ville de Wissembourg construite en 1410 et encore visible actuellement. Les fortifications encore visibles de nos jours datent essentiellement de 1746. Du château ou Fort Saint-Rémi (ou Saint-Rémy), construit à l’est de Wissembourg sur la Lauter, il ne reste que des vestiges enfouis et le fossé. Son plan en 1877 et des gravures anciennes ont été publiés par R. Übel en 1992. Il est inscrit à l’inventaire des sites (3 novembre 1989). Un moulin y a ensuite été édifié, puis détruit lors de la seconde guerre mondiale. Le Fort de Saint-Rémi était un des éléments des « Lignes de Wissembourg », ensemble de fortifications en terre, avec quelques redoutes, protégeant le nord de l’Alsace jusqu’à Lauterbourg (C. Grad, 1889). Le sommet Geisberg était occupé par un château construit entre 1694 et 1711, détruit lors de la seconde guerre mondiale, puis rasé dans les années 1950. La colline du Geisberg a été le théâtre de trois batailles franco-allemandes, en décembre 1793, le 4 août 1870 et en mai 1940 (Toursel-Harster et al., 1995).
Le vignoble de Wissembourg, qui occupait vers 1860 environ 280 ha sur lœss et muschelkalk était cultivé selon la méthode palatine dite en chambrette (Kammerbau), au lieu de la culture en échalas pratiquée dans le reste de l’Alsace. La vigne est portée par un grillage de perche située à 70 ou 80 cm au-dessus du sol. Le vigneron doit se tenir à quatre pattes pour y travailler (F. Kirschleger, 1858 ; J. Vogt, 1981 ; 1999).
Notre botaniste a prospecté essentiellement dans les environs immédiats de Wissembourg, probablement lors de sorties dominicales. La Kastenwald, le lieu-dit Steingrube, le château Saint-Paul avec 28 récoltes, ainsi que les vignoble à l’ouest de la ville (Ortzalgrund, Münchhof, Bannholtz, Steberhof, Wormberg) avec 20 spécimens sont les principaux sites parcouru. A Wissembourg même, les fossés et les fortifications ont apporté 12 spécimens. Vers l’est, c’est autour d’Altenstadt avec le Haardt et le lieu-dit Sandwiese (11 récoltes), la forêt du Niederwald (9 récoltes), les rives de la Lauter et le Moulin Saint-Rémi (13 récoltes), qui sont traversées, avec une excursion à Schleithal (3 récoltes). Vers le sud, les récoltes ont lieu dans les champs (7 récoltes), à Riedseltz (16 récoltes), au Geisberg et à la ferme Gurtsbenthof (3 récoltes) et à Oberseebach (1 récolte). Une course à lieu le long de la Lauter, en amont de Wissembourg, avec le Moulin de la Walck (6 récoltes) et Weiler (3 récoltes). Enfin, une récolte a été faite dans la forêt de Haguenau.
Quelques collections proviennent de l’Allemagne voisine, surtout du proche Palatinat, qui était également appelée à l’époque Bavière Rhénane car ce territoire appartenaient au Royaume de Bavière : Schweigen (4 récoltes), Bienwald (1 récolte), Schaidt (1 récolte) ou plus éloignées : Saarbrück (2 récoltes), Château de Dahn (2 récoltes), Schifferstadt - Sporen et en Sarre ex-Prusse Rhénane à Neunkirschen - Hornisorung (1 seule récolte pour chaque site).
L’herbier a été constitué entre le 2 juin 1870 et le 29 juillet 1871, soit en un peu plus d’une année. Notre botaniste a récolté des plantes d’abord à Riedseltz le jeudi 2 juin 1870 (16 spécimens), puis vers Schweigen le lundi 6 juin (2 récoltes) et dans la forêt du Kastenwald et ses environs (15 spécimens). Le dimanche 12 juin il complète ses collectes à Wissembourg même et dans le vignoble vers le Kastenwald (5 plantes). Le début de l’été 1870 fut très chaud et sec (P. Stroh, 1976). Après deux récoltes à Altenstadt le jeudi 30 juin et une le jeudi 7 juillet au Moulin de la Walck, il n’y aura aucune autre collection durant l’été. Mais entre temps il y eut la déclaration de la guerre de la France à la Prusse le 19 juillet 1870. Dès le 16 juillet, des patrouilles de cavaliers bavarois traversent la frontière et circulent dans l’Outre-Forêt et le long de la frontière dans les Vosges du Nord (Sabatier, 1989). La ville est mise en état de défense avec la levée des ponts-levis des trois portes (Landau, Bitche et Haguenau). Le 25 juillet des patrouilles de l’infanterie bavaroise vont jusqu’à Altenstadt. Une importante partie de la troisième armée allemande, stationne à quelques kilomètres de Wissembourg, à Schweigen et à Schweighofen et vers Landau au cours du mois de juillet. Le mois d’août 1870 autour de Wissembourg est terrible avec les premières batailles entre la France et la IIIème armée allemande au Geisberg le 4, avec la défaite du général Abel Douay, et à Woerth-Froeschwiller le 6, avec la défaite du maréchal Mac-Mahon. Ce n’est pas le moment de faire des collectes botaniques dans les environs. Le matin du 4 août, les allemands investissent la rive droite de la Lauter, prennent le Geisberg et Wissembourg tout en refoulant l’armée française vers Froeschwiller-Woerth. Le château du Geisberg est en occupé, les pentes de la collines sont recouvertes de cadavres. La bataille fit plus de 2 500 morts et blessés (1 550 du côté français, 1 160 du côte allemand). La bataille décisive de Woerth-Froeschwiller sera beaucoup plus sanglante (P. Stroh, 1989), avec plus de 10 000 morts et blessés tant du côté allemand que du côté français. Beaucoup de blessés furent évacués sur Wissembourg dès la fin de la bataille. Notre botaniste n’a plus rien récolté en 1870, sauf quatre récoltes les 5, 6, 7 et 10 octobre dans le vignoble autour de Wissembourg. Peut être fut-il réquisitionné pour s’occuper des blessés particulièrement nombreux à l’issu de ces des deux batailles ? Après les batailles la région resta longtemps une zone de passage de troupes (P. Stroh, 1976), la ville était réquisitionnée et devait fournir de grandes quantités de nourriture, les habitants devaient accueillir et loger les soldats allemands jusqu’à la victoire prussienne, l’armistice étant signée le 28 janvier 1871 et le traité de Francfort le 10 mai 1871.
L’année suivante, le rythme des récoltes botanique est un peu plus soutenu, avec des collectes dès le mois de mars (les dimanche 5 et 19) à Schleithal (5 récoltes), puis quelques spécimens dans le vignoble de Wissembourg en mars et en avril. Le dimanche 9 avril, notre collecteur va au Geisberg (5 récoltes). Les récoltes importantes se font le vendredi 5 mai à Altenstadt et dans la forêt du Niederwald (5 plantes), le dimanche 7 mai au Kastenwald (6 spécimens) et le dimanche 28 mai autour de Wissembourg, vers le Moulin de la Walck. Le 7 (9) juin il retourne au Kastenwald (7 spécimens). Le jeudi 6 juillet il retourne à Altenstadt et au Niederwald, et récolte 7 spécimens. Entre temps, au moins une fois par semaine, il récolte un ou deux autres spécimens tous les 4/5 jours, surtout dans les environs immédiats de Wissembourg.
Des récoltes auraient-elles eu lieu sur le champ de bataille ? Ce n’est pas clairement indiqué. Une cinquantaine d’années plus tard, un botaniste anglais a étudié la flore du champ de bataille de la Somme en 1917, l’année suivant la grande bataille anglo-allemande qui eu lieu de juillet à novembre 1916 (PA.W. Hill 1917 in P.A. Stott, 1980). Le paysage était bien différent, le sol n’était qu’un « océan de boue crayeuse », strié de tranchés, de déblais, de trous d’obus et de traces de tanks. Il note la dominance du laurier de Saint-Antoine (Epilobium angustifolium), associé au jonc des crapauds (Juncus bufonius) et à la persicaire (Polygonum persicaria). Des traces de la végétation antérieure ne subsistaient que rarement. Une place immense était occupée par des mauvaises herbes annuelles, le coquelicot (Papaver rhoeas), la camomille (Matricaria camomilla), la moutarde des champs (Sinapis arvensis).
Revenons à l’Herbier de Wissembourg. Les récoltes sont méthodiques, les sites sont parcourus plusieurs fois à des époques différentes, mais le botaniste se limite, à quelques exceptions près, aux environs immédiats de Wissembourg. Les récoltes se font essentiellement le dimanche. Les plantes sont surtout des espèces des prés, des champs, du vignoble, des carrières et vieux murs et des lisières forestières. Il ne s’aventure ni dans les marais d’Altenstadt, ni dans les aulnaies marécageuses de la Lauter, ni dans les forêts de hêtres ou de pins des Vosges du Nord toutes proches. Les espèces sont principalement des herbacées banales, celles que tout jeune botaniste récolte au début. Les Astéracées (ex Composées), les Brassicacées (ex Crucifères), les Caryophyllacées, les Fabacées (ex Papilionacées), les Lamiacées, les Scophulariacées et les Poacées (ex Graminées) sont dominantes, avec les habituelles Papaveracées, Renonculacées, Rosacées, Orchidées, Violacées, etc. Notons que les plantes rares et extrêmement importantes du Marais d’Altenstadt (Arrêté Préfectoral de Protection de Biotope, Site du Conservatoire des Sites Alsaciens, Site natura 2000) ne sont pas particulièrement collectées, comme le montre l’absence des plantes phares de ce site, déjà cité par F.W. Schultz et F. Kirschleger : Wahlenbergia hederacea, Carum verticillatum, (deux espèces sub-atlantiques ayant ici leur station la plus septentrionale) Ranunculus flammula, Stellaria palustris, Radiola linoïdes, ou le très rare Liparis de Loesel (Liparis loeselii), espèce protégée au niveau national et maintenant disparu des marais. De même, la spectaculaire Anémone sylvestre (Anemone silvestris), n’est pas cueillie sur le Würmberg. Ce n’est donc pas, à l’évidence, un botaniste collectionneur de rareté, comme il en existait beaucoup à l’époque. Il n’a pas suivi le botaniste de Wissembourg spécialisé dans les Ronces (Rubus), P.J. Muller (L. Favrat, 1890 ; G. Matzke-Hajek, 1993) car il n’en récolta aucune. Son herbier n’en est que plus intéressant car il montre, à côté d’une flore banale, quelques espèces qui maintenant ont pratiquement disparu de la région, or le critère d’effondrement des populations sert à identifier, au niveau national comme au niveau régional, les plantes en danger. Ce critère est particulièrement difficile à quantifier lorsqu’on ne dispose pas d’état des lieux anciens, comme ce précieux herbier. En annexe 3, la liste des espèces récoltées autour de Wissembourg en 1870/1871 est indiquée. L’analyse de cet herbier montre donc une flore contrastée, avec une dominance d’espèces anthropiques, messicoles ou associées au vignoble, avec des plantes des contreforts xéro-thermophiles des Vosges, quelques espèces montagnardes qui descendent en plaine et quelques plantes des milieux humides. 33 espèces sur 154, soit plus de 20%, présentent un intérêt scientifique encore actuellement.
Une trentaine de plantes récoltées sont remarquables, citons :
(3) Les notes historiques et géographiques sur la région de Wissembourg sont tirées du numéro 59 de Saisons d’Alsace sur l’Outre-Forêt. Wissembourg et son pays (Collectif, 1976) et de l’article sur l’Outre-Forêt de l’Encyclopédie de l’Alsace (J.L. Vonau et G. Wackermann, 1985).
(4) Localité rattachée à Wissembourg en 1974.
(5) Il ne reste actuellement plus que le donjon de ce château du 13ème siècle.
(6) La ferme du Geisberg ainsi que les fermes voisines du Schafbusch et du Gutleuthof appartenaient en 1870 à une secte protestante anabaptiste, les mennonites (Stroh, 1989).
(7) Les communes d’Oberseebach et de Niederseebach ont fusionné en 1974 sous le nom de Seebach.
(8) Localité rattachée à Wissembourg en 1866.
(9) Plante de montagne.
Cet herbier de 72 spécimens a été constitué avec des spécimens provenant d’achats ou des distributions de diverses Société d’échange, ce sont alors les centuries (10). Il existait, durant tous le 19ème siècle et au début du 20ème siècle un véritable réseau de commerçants naturalistes, dont la Maison Verreaux à Paris. Ces magasins d’objets d’histoire naturelle proposaient à leurs clients, aussi bien musées que scientifiques ou amateurs des catalogues très variées de collections géologiques, paléontologiques, zoologiques et botaniques (P. Daszkiewicz, 1997). C’est probablement par l’intermédiaire d’un de ces établissements à la fois commerciaux et scientifiques que notre botaniste a pu acquérir des spécimens d’herbiers de différentes régions d’Europe. Les principales Sociétés d’Echanges de notre herbier sont :
Les collecteurs de ces Sociétés sont nombreux, et certains sont cités dans l’Index Herbariorum (*), qui rassemble les noms, les principaux lieux de récoltes et les herbiers de dépôts des collections importantes pour la botanique. Citons :
La liste importante de botanistes montre l’intensité des échanges scientifiques, non seulement entre institutions savantes, mais également au niveau d’un botaniste d’une petite ville de province relativement isolée (G. Wackermann, 1976). Celui-ci pouvait se procurer, probablement par achat ou abonnement à des Sociétés d’Echanges, des plantes de la France entière et de l’Europe récoltées souvent par d’éminents botanistes. Notons que certaines Sociétés d’Echanges étaient désintéressées tandis que d’autres étaient payantes.
Les spécimens sont surtout des champignons parasites des cultures (31 spécimens), des mousses (24), des lichens (13), trois algues et une characée.
(10) Une centurie est une publication de botanique sous forme d’un herbier qui comprend 100 spécimens différents de plantes, souvent reliés en un seul volume et non pas, comme cela est couramment admis par erreur, un ou plusieurs (généralement 100) spécimens d'herbier différents récoltés et diffusés en 100 exemplaires. Une centurie peut être diffusée en plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'exemplaires.
Cet herbier, en cours de traitement est d’un intérêt réduit. Il s’agit d’une dizaine de spécimens d’espèces essentiellement montagnardes récoltés probablement pendant les vacances de M. Haller. Les localités sont probablement du sud des Alpes, en Italie et en Suisse, peut être également des Dolomites ou du Tessin ?
Trois spécimens, ont été collectées à Amélie les Bains en septembre - octobre 1889.
L’interprétation de cet herbier est difficile. Peut-être ne s’agit il que de quelques éléments d’un herbier plus important qui aurait disparu ?
L’identité du botaniste (ou des botanistes) qui a constitué cet herbier n’est pas connue. Au siècle dernier, et jusqu’aux années cinquante, deux groupes professionnels faisaient des herbiers lors de leurs études : les enseignants et les pharmaciens, parfois également des médecins. Ces herbiers leur permettaient d’une part d’apprendre les caractères des principales familles régionales de plantes et les noms des espèces les plus communes, et d’autre part leur servaient ensuite de référence en l’absence de flores illustrées. En effet, les premières flores accompagnées de dessins et d’un coût abordable ne seront publiées que près de cinquante ans plus tard. De plus, aller à Strasbourg en chemin de fer pour consulter un ouvrage dans une bibliothèque ou vérifier un spécimen dans l’herbier de l’Université mobilisait deux journées complètes. Il s’agit probablement d’un stagiaire en pharmacie car une note manuscrite indique « mon premier herbier en 1870 à mon entrée en pharmacie ». En 1870, (P. Bachoffner, comm. pers.), « entrée en pharmacie » signifiait faire un stage pratique pré-universitaire, qui pouvais durer 3 à 4 ans, parfois 6 ans. Il s’agit donc fort probablement d’un stagiaire, débutant la profession de pharmacien, pour lequel la constitution d’un herbier était recommandée. Notons qu’en 1860, il y avait déjà trois pharmacies dans la sous-préfecture de l’Alsace du nord (L. Jung et al., 1985) dont les propriétaires sont MM. Guillaume Schattner, Edouard Volpert et L. Th. Wolwerth et en 1875-1878, MM. Muller (diplômé en 1868) et M. Rehm (diplômé en 1862). Notre stagiaire en pharmacie n’a donc probablement pas eu comme professeur de botanique à l’Université Frédérique Kirschleger, l’auteur de la Flore d’Alsace puis de la Flore Vogeso-Rhénane. A cette époque, il y avait une quarantaine d’étudiants en pharmacie à Strasbourg. En 1870-1871, un pharmacien s’est-il installé à Wissembourg et serait-il l’auteur de cet herbier ?
L’herbier de cryptogames jouait un rôle analogue, car il rassemble des plantes des différents groupes de cryptogames, dont surtout des champignons parasites de culture Cet herbier pouvait servir à identifier les principales maladies cryptogamiques des plantes sauvages ou cultivées.
Beaucoup d’herbiers d’amateurs du 19ème siècle rassemblent des collections personnelles et des plantes distribuées par les Sociétés d’Echanges. J.R. Wattez (1997) étude ainsi l’herbier L. Moreau, médecin à Alger, qui rassemble beaucoup à celui de Wissembourg, avec une partie composée par les propres récoltes de Louis Moreau, réalisées lors de ses études de médecine et lors de déplacements en France avant son départ en Algérie et une partie provenant des Sociétés d’Echanges. La plupart de plantes ayant été acquise, comme pour notre botaniste wissembourgeois, par l’intermédiaire de la Société Vogéso-Rhénane et datent d’avant 1870. On retrouve ainsi des spécimens de Paillot, Brisson-Regnault, Kampmann, Giorgino, Vendrely. L’étude de ces herbiers nous permet, comme le souligne J.R. Wattez (o.c.) de comprendre comment travaillaient les botanistes amateurs ou professionnels de cette époque. Même de très grosses collections, comme l’herbier de dauphinois D. Villars (V. Poncet, 1999) ou de l’autrichien R. Baschant (1897-1955) comprenait, outre de très importantes collections personnelles, des doubles des spécimens des plus grands botanistes du 19ème et du 20ème siècle pour ce dernier (Hiepko, 1980). L’analyse de l’herbier d’un botaniste italien, Filiberto Luzzini (1909-1943) montre également l’importance des échanges dans toute l’Europe, avec environ 15% de plantes récoltées par d’autres botanistes (F. Prosser, 1999). La plupart des collections botaniques comportait une part propre au collecteur et une part acquise par achat ou échange.
L’identité professionnelle du botaniste de Wissembourg reste inconnue. La qualité des spécimens et surtout l’importance des plantes cryptogamiques, acquises par achat probablement, font pencher la balance vers un pharmacien pour plusieurs raisons : (i) les collections de plantes de pharmaciens de cette époque, semblables à l’herbier de Wissembourg, sont encore assez abondantes, l’herbier de Strasbourg en possède plusieurs (F. Dreger, com. pers.) ; (ii) l’achat de plantes à des Sociétés d’Echange montre une certaine aisance financière et des relations probables avec l’université de Strasbourg qui participaient activement à ces échanges ; (iii) les récoltes ont eu lieu essentiellement les dimanche, jour de repos souvent consacré à des sorties dans la nature.
L’Herbier du botaniste de Wissembourg rassemble des données nouvelles et originales pour la flore d’Alsace. Ces informations ont été intégrées à l’inventaire actuellement en cours des espèces à surveiller du Livre Rouge de la Flore de France ainsi qu’au Livre Rouge de la Flore d’Alsace, en cours de rédaction.
Tout herbier présente un intérêt pour la botanique, l’écologie et la géographie des plantes, mais aussi pour l’histoire des sciences. Il donne l’image floristique d’une localité et permet donc de suivre l’évolution, malheureusement souvent régressives, de notre patrimoine floristique. L’herbier de Wissembourg est un élément de ce patrimoine. Associé à l’herbier d’Alsace et déposé à Strasbourg, il prend toute sa valeur et permet des comparaisons dans le temps comme dans l’espace.
Je tiens à remercier M. P. Bachoffner, Président Honoraire du Conseil Régional d’Alsace de l’ordre des Pharmaciens pour les renseignements et compléments concernant le pharmacien de Wissembourg, M. F. Dreger, Conservateur de l’Herbier de Strasboiurg (STR) et M. F. Hoff pour les informations sur Wissembourg vers 1870.
La 19e édition de la Nuit européenne des musées se déroulera le samedi 13 Mai 2023. Riche...