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Petit Herbier d'Alsace

Qui a perdu un bel herbier d’Alsace vers la fin du XIXè siècle ?

Bjorn Volkert
Herbier de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg

À l’Herbier de l’Université Louis Pasteur (STR), se trouve un vaste herbier, sobrement intitulé « Herbier d’Alsace », qui encadre de ses volumes le buste impassible d’Anton de Bary, fondateur du Jardin Botanique de Strasbourg en 1880. Et si, de mémoire de Conservateur, cette imposante collection a toujours été présente, impossible d’en déterminer l’auteur, car, après analyse, force est de constater que ce timide botaniste de la fin du XIXè s. n’a pas signé son travail …

Cet article a été publié en 2011 dans le Bulletin de Liaison de la Société Botanique d'Alsace n° 29 : 17-20.

Description de l'herbier

1) L’herbier

Les adjectifs « vaste » et « imposant » n’ont pas été utilisés vainement dans l’introduction, puisque cet herbier ne comporte pas moins de 14 volumes (nous verrons par la suite ce que cela implique en terme de diversité végétale représentée). Il s’agit d’épaisses chemises cartonnées de 360 x 240, recouvertes d’un revêtement de tissu vert imperméabilisé.  La mention « Herbier d’Alsace » et le numéro du volume sont gravés en dorure sur la tranche, dans le sens de la largeur. Les trois pans (tranche et rabats) qui constituent la chemise sont reliés entre eux par deux sangles de tissu qui passent à l’intérieur du carton, et qui possèdent un système de fermeture métallique tout à fait banal, que l’on retrouve sur la plupart des sangles d’herbiers.

Ces lourds classeurs renferment des chemises de papier fort, brun-rouge, à quatre rabats, d’environ 350 x 235 lorsqu’elles sont refermées, numérotées au crayon bleu dans le coin supérieur droit. Au total, l’Herbier d’Alsace comprend 68 de ces pochettes, soit en moyenne 4 ou 5 par classeur.  Elles contiennent une ou plusieurs familles, en fonction de l’importance des familles en terme d’échantillons représentés. Certaines familles sont même éclatées sur plusieurs pochettes ; c’est le cas, par exemple, des Brassicacées (appelées Crucifères), des Fabacées (Papillonacées), etc. La répartition des échantillons dans les pochettes reste bien étudiée : même si c’est un critère d’ »épaisseur » qui poussait l’auteur à répartir ses échantillons dans les pochettes, seules les familles trop importantes sont éclatées, et les pochettes les présentant sont rangées les unes à la suite des autres. De même, les familles ou ordres proches sont groupés. On ne trouve pas de planche « orpheline ».

Passons aux planches, justement. Bien évidemment compilées à l’intérieur desdites pochettes, il s’agit de chemises de 340 x 225, en papier parfois un peu jauni par les outrages du temps, mais encore en très bon état général. Les plantes y sont fixées au moyen de petites bandelettes de papier. Toutes sont de bonne qualité et bien reconnaissables. Les étiquettes, d’environ 120 x 85, sont pré-imprimées, présentent un cadre sobre, la mention « HERBIER D’ALSACE », deux lignes pour renseigner le nom de la plante, et l’intitulé des champs à remplir manuellement : localité, altitude, date, station. Précisons toutefois :

  • Que le botaniste a écrit, en plus du nom en nomenclature binomiale latine, les noms vernaculaires en français et en allemand.
  • Qu’il a donné, soit le nom de la localité (au sens géographique du terme), soit le nom du lieu-dit, où il a récolté la plante (parfois les deux). De nombreuses planches portent des renseignements incomplets dans ce champ (par exemple, « Bords de l’Ill », etc.)
  • Que la date est parfois imparfaitement renseignée. Lorsque cela arrive, il est fréquent de n’avoir que l’année de récolte, accompagné des mois extrêmes de la période de floraison.
  • Que le champ station est généralement bien complet, donnant souvent des précisions sur la chorologie régionale de l’espèce (par exemple, « fossés aquatiques entre Strasbourg et Colmar » ; « Marécages de la plaine du Rhin », etc.)
  • Qu’il est précisé de qui l’auteur de l’herbier a reçu l’échantillon, s’il s’agit d’un don. Nous reviendrons plus précisément sur ce point ultérieurement.

Enfin, permettons-nous d’ajouter que les étiquettes n’ont pas toujours été faciles à lire, certains noms de plantes demeurant encore illisibles …

Au sein des pochettes, les planches sont séparées en familles, ou en ce que l’auteur appelle des « tribus », par des feuilles de papier bleues, de format 327 x 216. Sur le coin supérieur droit est fixé une petite étiquette (45 x 25), pré-imprimée, portant la mention « HERBIER D’ALSACE », et le champ « famille » à remplir à la main. Un espace supplémentaire est laissé pour ajouter un commentaire, par exemple le nom d’une sous-division taxonomique.

À ce titre, précisons que les noms de ces divisions ne sont plus celles adoptées actuellement. Outre l’emploi des anciens noms des familles (Crucifères, Papillonacées…) on trouve également des noms de familles qui n’existent plus (Fumariacées, Siléniées, Sanguisorbées…) ou qui ont changé (Grossulariées…).

Il convient de souligner que l’herbier présente une remarquable régularité dans sa forme. Le mode de classement ainsi décrit est adopté pour l’ensemble de l’herbier, sans écart à la règle au fil des quatorze classeurs.

Enfin, ajoutons que chaque planche ne porte d’un seul échantillon mais la même espèce peut être représentée par plusieurs échantillons, parfois provenant de localités différentes, sur plusieurs planches. Le nombre de planches étant de plus de 1100, entre 1000 et 1050 espèces végétales sont ainsi représentées.

2) Les récoltes

Notre passionné et passionnant inconnu a principalement récolté dans le Haut-Rhin, principalement en 1881-1882 et en 1896, avec une « période creuse » entre.

On peut estimer à 80% la quantité d’échantillons provenant de ce département. Les noms de communes qui reviennent le plus souvent sont les suivants (entre parenthèses, le nombre d’échantillons correspondants) :

Colmar (33), Eguisheim (10), Griesbach (8), Haslach (8), Herrlisheim (18), Ingersheim (15), Metzeral (25), Mittlach (28), Münster (14), Siegolsheim (22), Soultzbach (13), Soultzmatt (11), Stosswihr (28), Sundhoffen (8), Turckheim (17), Voegtlingshoffen (23), Wasserbourg (10), Wettolsheim (13), Wildenstein (9), Wintzenheim (38).

De nombreuses récoltes ont également été effectuées dans le massif vosgien, puisque des noms de lieux-dits et de massifs, comme le Florimont (34), mais aussi le Hohneck (19), et le Wormspel (8) reviennent assez souvent. Les lacs entre le Hohneck et Gerardmer ont également été très visités, puisque cinq échantillons proviennent du lac de Lispach, et sept du lac de Retournemer.

Ainsi, un amoureux des randonnées vosgiennes aura rapidement compris que notre botaniste était, lui aussi, un fervent amateur de la vallée de Münster, mais aussi de la région des ballons de Guebwiller et le la région de Colmar…

Peu de récoltes ont été effectuées dans le Bas-Rhin. Ainsi, Haguenau n’est cité que deux fois, les ruines du château de Ramstein une seule fois.

Cependant, on dénombre quelques échantillons rapportés d’Allemagne, et ce en quantité non négligeable : onze du Kaiserstuhl, deux de Freiburg Im Breisgau, un de la Ruhr… Notons également la présence de quelques échantillons de Suisse, dont trois de Zürich.

Enfin, on trouve un échantillon de Saint-Cloud, un du Midi de la France, un du Loir et Cher, un de Nancy, un du Jura, etc. il s’agit souvent de dons.

Précisons cependant que le lieu de récolte de 366 échantillons n’est pas précisé ou pas lisible. De nombreux autres ne sont pas précis (nom de lieu-dit connaissant beaucoup de synonymies en Alsace, nom lu sans certitude …).

Analyse de l’herbier

Vu son amplitude, cet herbier a le mérite de rassembler une écrasante majorité des espèces de la flore d’Alsace (ou en tous cas, du Haut Rhin !)

Cependant, il convient de préciser un peu l’importance relative prise par les différents taxons représentés dans l’herbier.

On compte environ 1 030 angiospermes, ce qui représente près de 94% de l’herbier. Parmi elles, 90  (9% d’entre elles, soit 8% de l’herbier) sont des arbres, des arbustes ou des lianes.

Seulement 7 planches de Gymnospermes (intitulés « Conifères ») (moins de 1% !), et 58 planches de Cryptogames vasculaires (environ 5%) sont présentes. Parmi elles, on remarquera un Isoetaceae, un Selaginellaceae, six Equisetaceae, et huit Lycopodiaceae, de reste étant constitué de Filicophytes de diverses familles. Les Cryptogames avasculaires ne sont pas du tout représentés dans cet herbier. Etant donné l’ampleur du travail réalisé pour les végétaux vasculaires, il est évident que ces taxons ont été volontairement non étudiés.

Parmi les familles d’angiospermes les plus représentées, viennent en tête de liste les Poaceae (121), les Asteraceae (102), les Brassicacea (58), les Apiaceae (49), les Rosaceae (49), les Fabaceae (44), les Cyperaceae (43), les Lamiaceae (43), les Scrophulariaceae (40), ce qui fut les Liliaceae (40), les Renonculaceae (38), les Orchidaceae (36), puis enfin les Caryophyllaceae (32).

La plupart des familles de la flore d’Alsace sont ainsi excellemment représentées. Quand aux familles qui se voient avoir moins de représentants dans l’herbier, ceci n’est pas du à une lacune de la part du botaniste, mais au fait que ces familles ont fort peu d’espèces présentes dans la flore d’Alsace. À titre d’exemple, on trouve ainsi 5 Grossulariaceae, 2 des 3 Droseraceae de la flore d’Alsace, 3 Nympheaceae (probablement la totalité du spectre de cette famille en Alsace), l’unique Parnassiaceae de la flore d’Alsace, 7 Crassulaceae, 8 Saxifragaceae soit 6 des 9 Saxifraga de la Flore d’Alsace et les deux Chrysosplenium. Sont également présents dans l’herbier, 6 Gentianaceae dont 5 Gentiana sur les 8 que compte la Flore d’Alsace.

Inutile de rajouter qu’avec un tel spectre d’espèces végétales, la flore d’Alsace est bien couverte, et de très nombreuses espèces rares ou désormais protégées y figurent.

Dans la liste détaillée de ces plantes, qui figure en annexe, les courageux identifieront notamment l’Adonis de printemps et l’Adonis d’été, deux messicoles en danger, protégées respectivement au niveau national et régional. D’autres messicoles figurent également dans cet herbier, comme le Delphinium ou la Nigelle des champs, désormais éteinte.

De nombreuses plantes rares d’altitude, souvent récoltées dans le massif Vosgien, s’ajoutent à la collection. Parmi elles, de nombreuses Gentianes, une Pulsatille, la Trolle d’Europe, l’Arnica, quelques Crassulacées et plusieurs Saxifrages, etc.

Se trouvent également des plantes de milieux humides, telles deux espèces de Drosera, désormais protégées au niveau national, mais aussi le Calla des marais, bénéficiant également de la protection nationale, la Parnassie des marais et la Grassette commune, protégées en Alsace. La Canneberge, et les deux Aconits figurant sur les listes rouges d’Alsace, figurent également dans cet herbier. Notons encore qu’on y trouve trois espèces de Nymphéacées, dont le Nénuphar blanc qui est également cité dans les listes rouges d’Alsace.

La vaste collection d’Orchidées (presque 40 !) rassemble également de nombreuses espèces protégées, dont le mythique Sabot de Vénus, figurant désormais dans les Directives Habitats 2 et 4 de Natura 2000.

Un certain nombre de Carex, d’Apiacées et d’Astéracées rares ou protégées, ainsi que des Ptéridophytes - dont le Lycopode à rameaux d’un an, qui figure à la Directive Habitats 5 de Natura 2000, complètent le tableau de cette collection de plantes.

Au total, au moins 149 espèces figurant dans cet herbier sont des espèces rares ou protégées. Ceci représente environ 14% de l’herbier. Parmi ces 149 espèces, 8 sont des Ptéridophytes (ces végétaux représentent ainsi 5% des plantes rares de l’herbier).

Enfin, des espèces cultivées, plantées dans les jardins ou subspontanées, y figurent également. À ce titre, on notera la présence de Fenouil, de Bourrache officinale, d’Olivier d’Europe, de Luzerne (plante fourragère), de Robinier faux-acacia (introduit), et d’autres arbres cultivés. Quelques rares plantes d’ornementation, devenues plus ou moins subspontanées, ont également été récoltées. Enfin, notons que l’on trouve une assez grande quantité de messicoles et de rudérales.

Ce travail, effectué par un botaniste assidu mais fort timide, nous donne un très bon aperçu de la flore alsacienne de la fin du XIXè siècle, puisqu’il a vraisemblablement été effectué dans un souci d’exhaustivité, sans donner une orientation particulière à l’herbier, par opposition à certains herbiers de pharmaciens qui vont principalement comporter des plantes à caractère médicinal. Gardons à l’esprit que ceci n’est pas un reproche, et que tous les herbiers constituent de précieux témoignages du paysage floristique d’antan, dont la connaissance est essentielle à bien des niveaux, dans des domaines très variés. Enfin,  de tels recueils font revivre des paysages où figurent de belles fleurs maintenant rares, que l’on ne trouve plus guère aujourd’hui. Et il ne semble pas que ce soient les botanistes qui aient fait le plus de dégâts en prélevant seulement quelques échantillons à une période où ces plantes étaient plus fréquentes…