L'Herbier de l'Université Louis Pasteur rassemble environ 450 000 spécimens dont environ 100 000 ont été récoltées en Alsace et dans les régions limitrophes. La Société Vogéso-Rhénane a été une association dynamique qui a rassemblée et diffusée de nombreux spécimens en Alsace et dans les Vosges. Un premier inventaire des collecteurs a été réalisé, à partir des spécimens déposés à l'herbier de Strasbourg.
La Société Vogéso-Rhénane fut créée en 1863 par Albert Maeder au sein de la Société Philomatique dont Kirschleger était alors président et sera réorganisée en 1865 suite à la mort de son fondateur. Son but était l’échange de plantes séchées (article 1 du règlement).
On peut essayer de comprendre le fonctionnement de cette société à partir de documents que possède l’herbier de Strasbourg couvrant l’activité de l’association durant les années de 1863 à 1874
Il s’agit de six fascicules, chacun récapitulant une année de fonctionnement. Les années 1870 et 1871 manquent. La période allant de 1863 à 1867 est regroupée dans le premier cahier paru en 1868.
Cet ensemble se divise en deux catégories. Une première série couvre la période 1863 à 1869 et comprend 3 livrets, la deuxième va de 1872 à 1874 et comprend également 3 cahiers.
La transition entre ces deux présentations s’est faite en 1870 ou 1871, justement les années qui nous manquent. La nouvelle présentation, d’une qualité très nettement en baisse par rapport à la première, marque un tournant très net dans la vie de la société.
Tous ces fascicules semblent écrits à la main. Comme nous possédons des exemplaires en double, les années 1869 (intitulés 1869 mais que retracent les échanges de 1868) et 1870 (année 1869), leur comparaison nous montre qu’ils sont absolument identiques et sans aucune rature. On peut donc penser à une reproduction mécanique d’un premier exemplaire manuscrit.
La première série
Les trois premiers cahiers intitulés respectivement 1868, 1869, 1870 ont un format de 24 x 16 cm et comportent trois parties. L’écriture est fine et soignée. Ils récapitulent les échanges de plantes de ou des années précédentes.
La première partie, longue de trois pages, donne le règlement de l’association, les droits et devoirs de chaque membre.
La deuxième partie fournit la liste des plantes échangées classées par famille puis par genre. Chaque échantillon est suivi du nom du collecteur.
La troisième partie donne la liste des membres avec le nombre d’échantillons fournis. Dans le premier cahier les noms ne se suivent pas par ordre alphabétique mais correspondent probablement l’ordre d’arrivée des envois d’échantillons au cours de l’année. Par la suite le classement alphabétique sera respecté.
Viennent ensuite, mais seulement dans le premier cahier, des annexes avec un modèle d’étiquette et de qualité de papier souhaité. L’étiquette modèle est imprimée avec l’entête de la Société Vogéso-Rhénane et son format est de 13cm x 8cm .Pour les planches d’herbier, on recommandait la dimension 30cm x 40cm. Des bandes de papier donnent une idée de la qualité souhaitée.
Dans le numéro 1869, est inséré un errata concernant le numéro précédent.
On y trouve aussi des notes nécrologiques. L’une annonce la mort de G.A. Becker, en 1868 et l’autre de F. Kirschleger en 1869.
La deuxième série
Les trois cahiers suivants sont de qualité beaucoup plus sommaire. La présentation est simplifiée. Il n’y a pas de couverture, simplement l’année s’inscrit en haut de la première feuille. L’année indiquée correspond probablement à l’activité de cette période.
Le fascicule se compose de simples feuilles d’un cahier ligné, aux dimensions de 34cm x 23cm, sur lequel sont notés le nom des collecteurs en grand dans la marge de gauche, ce qu’ils ont récolté dans la colonne du milieu et la famille végétale dans la marge de droite. L’écriture a changé par rapport à la première série. Elle est plus grande et moins appliquée. Plus de règlement ni de liste de membres. Les informations sont réduites au minimum.
La transition entre les deux séries correspond sur le plan historique à une époque troublée pour la France. C’est la défaite de Sedan, le départ de Napoléon III et le retour de la république. Mais c’est surtout l’annexion de l’Alsace et de la Moselle à l’Allemagne, évènement qui a sérieusement ébranlé la Société Vogéso-Rhénane dont le comité comprend beaucoup de mulhousiens. L’association en a été profondément affectée et a peut-être même suspendu ses activités durant quelques mois. On peut comprendre que l’esprit n’était peut-être plus tout-à-fait à ramasser des plantes. Les numéros de 1870 et 1871 ont-ils seulement paru ?
Le règlement, donné dans chaque numéro de la première série de documents, est une suite de 14 articles signés Ph. Becker, président du comité de Mulhouse. Le fonctionnement de l’association y est expliqué.
Les adhésions ont lieu de janvier à mars de façon à rapidement connaître le nombre de membres.
Chacun d’eux a l’obligation d’envoyer au moins cinq plantes non ubiquistes croissant dans les limites européennes et encore non distribuées les années précédentes (article 5). Les plantes dont l’acclimatation n’est pas bien établie, celles qui proviennent de culture, les espèces subspontanées, ou exotiques ne peuvent être considérées que comme cotisations supplémentaires (article 6). A partir de 1869, il en sera demandé six à chaque membre et même douze s’il s’agit de cryptogames, ceux-ci ne comptant que pour moitié. On peut trouver cette mesure discriminatoire mais n’oublions pas qu’il s’agissait d’amateurs voulant se construire une collection et que les échantillons de mousses ou de lichens ont quand même une valeur esthétique moindre qu’une fleur. Il est évident qu’au niveau purement botanique cela ne peut se justifier. On arrive quand même à environ 12% de cryptogames parmi les échanges.
Les échantillons doivent être envoyés, avant le 15 décembre, en autant de parts que de membres, plus une pour la Société Industrielle de Mulhouse et une autre pour la Société d’Histoire Naturelle de Colmar (article 7). Les envois sont centralisés par M. Guillemin, préparateur du musée de la Société Industrielle de Mulhouse qui se charge de la répartition. Il est demandé à chaque membre de lui faciliter le travail en préparant les paquets avec le nombre d’exemplaires demandés.
Un nouvel article instauré en 1868, stipule que le comité se réserve la faculté de refuser pour l’année suivante, l’adhésion des membres qui auraient présenté des parts n’offrant aucun intérêt (article 12). Sur le cahier paru 1870, des petites croix dans la marge désignent ces échantillons jugés de peu d’interêt. On peut imaginer qu’elles ont froissé certaines susceptibilités. De plus tout envoi dont la valeur sera jugée trop minime, pourra être refusée par le comité et retourné à l’expéditeur (article 12). On ne sait pas si une telle sanction a été appliquée. La menace a peut-être été suffisamment dissuasive.
Grâce à la liste des membres fournie dans les trois premiers cahiers, avec leur adresse et parfois leur profession, on peut connaître leur nom et leur origine. Certains sont notés avec leur prénom quand ils ont un homonyme mais ce n’est généralement pas le cas.
Le nombre d’adhérent donne une idée de l’accroissement de l’association. Ils sont 19 la première année en 1863, 38 l’année suivante, 68 en 1869. Quand en 1867, le chiffre passe à 49, paraît une modification du règlement : si le nombre de sociétaires devaient dépasser 50, il serait divisé en deux parties égales, les échanges ayant lieu séparément entre les membres des deux séries... Pour faciliter la répartition, le comité de Mulhouse reste seul juge de ce classement (article 5, cahier 1869). Il aurait été difficile pour certaines plantes rares de ramasser plus de 50 parts. Le résultat aurait pu s’avérer catastrophique pour le milieu. Même si à l’époque on était peu soucieux des dégâts occasionnés, certains sentaient déjà qu’il fallait limiter les prélèvements et la division des membres en petits groupes était une bonne réponse à cette difficulté. Sur quelle base s’est faite la répartition ? Rien ne permet de le dire.
La liste des membres nous renseigne sur leur profession. Toutes ne sont malheureusement indiquées. En 1869, on compte 13 enseignants, de l’instituteur au professeur d’université, 9 pharmaciens, 3 médecins et un étudiant en médecine, 2 inspecteurs forestiers. Le reste montre une grande diversité allant du directeur d’un bureau téléphonique, à un négociant, en passant par un avoué, un greffier, un propriétaire (c’était un métier) et un lieutenant de vaisseau.
Quant à l’origine des membres, il est intéressant de noter que la première année, ils sont haut-rhinois et vosgiens sauf deux, un de Bâle et l’autre de Lausanne. La Société Vogéso-Rhénane porte bien son nom. Elle est née d’une initiative régionale. Peu à peu, d’autres membres la rejoignent dont l’origine est de plus en plus lointaine. La deuxième année, quatre personnes de Paris adhèrent, en 1865 deux Belges et deux pyrénéens, en 1866, deux Suisses et un Berlinois, en 1867 deux Autrichiens et un Corse. 1868 voit l’arrivée d’un Italien et de deux membres de l’Ouest de la France, 1869 d’un Suédois et de deux Prussiens. L’aire d’influence de la société s’élargit mais au niveau local, le mouvement a l’air de s’essouffler. Le nombre d’Alsaciens/Vosgiens n’augmente que très peu et parmi ces 19 membres fondateurs, seuls trois (Becker, Benner et Vosselmann) seront encore actifs dix ans plus tard.
En fait, la guerre de 1870 a causé un véritable cataclysme dans l’association. Les Vosgiens ont totalement disparu des échanges ainsi que plusieurs haut-rhinois. Même le président Becker n’est plus là en 1872 mais il réapparaîtra en 1873 avec Vosselmann, un Bas-rhinois, lui aussi éclipsé. Seul Benner restera. Après cette restructuration, les Alsaciens/Vosgiens seront très nettement minoritaires (10% en 1872). Ils ne feront sans doute plus partie du comité. La Société n’est plus vogéso-rhénane que de nom d’autant plus que les plantes échangées ne viendront plus d’Alsace. Seuls 4 échantillons, collectés par la Société d’Histoire Naturelle de Colmar, sur les centaines distribués seront cueillis dans le Haut-Rhin durant les trois dernières années. Les rares Alsaciens encore présents herborisent dans les Pyrénées, en Suisse, Italie, Dalmatie ou Tyrol mais pas chez eux. S’ils n’ont pas déménagé, on peut supposer qu’ils ont profité de voyages pour envoyer des plantes ramassées sur place. Peut-être était-il difficile pour eux de correspondre avec la « France de l’intérieur ».
Ce que chaque membre a envoyé constitue la plus grosse part du fascicule, 30 pages pour l’exemplaire de 1868, 20 pages en 69 et 21 en 70. Elle reflète l’activité de la société et permet de connaître les plantes ramassées.
Les plantes échangées y sont inscrites par famille puis par genre suivant la classification du Prodrome de de Candolle. Pour chaque espèce est notée le nom du collecteur et souvent mais pas toujours, le lieu de la récolte. Le premier cahier consigne aussi la date de la récolte car le fascicule couvre plusieurs années. Par la suite, cette donnée n’apparaîtra plus puisque ce ne sera plus le cas.
La première année de fonctionnement, l’organisation n’est pas tout à fait au point. L’origine des échantillons est rarement consignée. Le plus important était de savoir si chaque membre avait bien ramassé le quota demandé et ce qu’il avait récolté. C’est pourquoi le nom de la plante était toujours noté car elle ne devra plus être distribuée l’année suivante.
Chaque membre se devait de ramasser cinq puis six échantillons. En 1869, seuls 21% le font, 63% en ramassent de 7 à 12, 10% de 13 à 18 et 6% plus de 19 soit trois fois le quota demandé.
Il y eut de grands récolteurs dans l’association. D’abord Becker le président qui remporte la palme avec 105 envois en 9 ans, suivi de Favrat 91 échantillons en 5 ans, Burnat 76 en 9 ans, Paillot 71 sur une durée de 5 ans.
Certains membres ont connu de grandes années de récolte. En 1867 Becker a préparé 27 spécimens et Trapp 26, en 1868 Favrat 51 ce qui est le record, en 1869 Dieudonné et Thiebaut en ont envoyé 27, en 1873 Gandoger 24 et en 1874 Paillot 23. Mais d’une façon générale après 1872, à part ces exceptions, la plupart se contentent du nombre demandé. En 1874, seuls 19% en recueillent au-moins 8. L’enthousiasme du début semble éteint à moins que beaucoup de plantes ayant déjà été distribuées, il ne devienne difficile d’en trouver encore des pas communes.
Car le règlement demandait de ne pas ramasser de plantes banales ou déjà distribuées. Des plantes rares ont-elles été ramassées ? Oui. On trouve trois annotations qui le prouvent dans les premiers cahiers, mentions qui ressemblent à une sorte de félicitations envers le récolteur. La première concerne une caryophyllacée, Arenaria diandra Guss (aujourd’hui Spergularia diandra (Guss) Boiss.), ramassée par Debeaux en Corse en 1868, pour laquelle il est précisé que c’est une espèce nouvelle pour la Corse. Une autre mention est accordée au Carex pairaei F. Schultz, trouvé par Kirschleger dans le Bas-Rhin considéré comme une nouvelle espèce et dédié à Paira, un botaniste local. La troisième mention est accordée à Alsine aretioides Mert. & Koch. découverte par L. Favrat dans la vallée de Saas et décrite comme une espèce du Tyrol non retrouvée en Suisse depuis vingt ans. La pauvre plante a dû avoir un peu de mal à se remettre de cette cueillette à plus de 50 exemplaires
Ces plantes étaient-elles protégées ? D’abord cette notion n’existait pas à l’époque et de plus, les plantes rares d’aujourd’hui ne l’étaient pas forcément au XIXe siècle. Aussi il est difficile de dire si ces prélèvements ont détruit des milieux fragiles même si on les a beaucoup accusés.
On connaît le nombre de plantes distribuées car il est indiqué dans les premiers cahiers et il peut se déduire des derniers. Il est bien sûr fonction du nombre de membres
Les échantillons sont ramassés essentiellement autour des lieux de résidence mais aussi au cours de voyages. Ainsi on constate que les Alsaciens/Vosgiens ont une prédilection pour la flore pyrénéenne. Les Parisiens récoltent peu en région parisienne.
La Société Vogéso-Rhénane connut un essor très rapide passant en trois années de 19 membres en 1863 à 68 membres sept années plus tard. Le déclin sera aussi brutal. L’association ne comptera plus que 30 inscrits en 1874, date à laquelle s’arrêtent les documents que possède l’herbier de Strasbourg. A-t-elle continué au-delà de cette date ? Nous n’avons pas retrouvé d’échantillons d’herbier plus récents qui le prouveraient mais comme nous n’avons terminé notre inventaire, nous ne pouvons être catégoriques. On peut juste affirmer que si l’association n’a pas disparu, son activité s’est considérablement ralentie.
C’est en plein essor qu’arriva la guerre de 1870 dont on peut penser qu’elle eut des répercussions sur le fonctionnement de l’association. Les membres du comité, essentiellement mulhousiens et vosgiens vont se retrouver de nationalité différente et surtout ne plus s’exprimer dans la même langue. On peut penser qu’il était beaucoup plus difficile pour eux de travailler ensemble, voire même de correspondre.
Les années après guerre semblent témoigner d’une tentative de reprise des échanges mais peut-être que le coeur n’y était plus. Ceux qui constituaient l’âme et le moteur de l’association n’étaient plus là. Qu’est devenue de l’association après 1874 ?
Pour chaque botaniste, les informations suivantes sont indiquées, lorsque elles sont disponibles :
Nom et prénoms, ville et département ou pays de résidence, profession, année(s) d'adhésions.
La 19e édition de la Nuit européenne des musées se déroulera le samedi 13 Mai 2023. Riche...