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Herbier Pierre Stéhelin : flore des Vosges entre 1942 et 1944

 Bjorn Volkert et Michel Hoff
Herbier de l'Université Louis Pasteur de Strasbourg (STR)

Introduction

L’herbier de l’Université Louis Pasteur (STR) a reçu, il y a quelques années, de Mme Monique Stehelin, une collection d’environ 420 planches d’herbier. Cet herbier a été réalisé entre 1942 et 1944 par son beau-père Pierre Stehelin, né le 27 juillet 1892 à Bischwiller-lès-Thann et mort le 27 novembre 1970 à Cannes.

À la tête des tissages Stehelin-Scheurer & Cie à Cernay, Jungholtz et Obernai après le départ de son père en 1914, il déplace les bureaux de la société à Mulhouse, en 1915, sur ordre des Allemands. Il devient pratiquement aveugle suite à l’absorption de médicaments censés lui donner des palpitations cardiaques afin d’éviter d’entrer dans l’armée allemande. Dans cet état, il entre en Suisse, par Loerrach. Il abandonne alors toute activité industrielle et ne recouvrit la vue que partiellement, en 1921.Il crée alors à Mulhouse la société de représentation « Stehelin & Cie », qui devient en 1922 la « Société textile Stehelin & Cie », qui fut, en 1939, l’une des plus importantes affaires textiles de l’Est de la France. Il en était l’un des trois gérants. Expulsé d’Alsace en 1940, il part pour Vannes, dans le Morbihan, au château de Bot-Loré, qui appartenait à ses beaux-parents. Il ne revient dans l’Est qu’en 1942, lorsque son ami Jean Debry, alors directeur général de la Direction du Coton pour l’Est de la France lui en propose le poste de secrétaire général. Il s’installe alors à Epinal où il occupa cette fonction jusqu’en 1944, année de sa déportation. Ce fut à Epinal qu’il réalisa son herbier. Sinistré lors de la Seconde guerre mondiale, il ne retourne à Mulhouse qu’en 1949 et recrée une nouvelle affaire de représentation textile, la société Stehelin & Cie, que son fils aîné reprit lorsqu’il se retira en 1957.

On sait que Pierre Stehelin s’intéressa beaucoup à l’histoire naturelle entre les deux guerres, d’abord par le biais des mollusques, qu’il étudia et collectionna, mais aussi par le biais des Hémiptères, dans lesquels il se spécialisa. Les restes de sa collection de mollusques, qui fut en partie détruite pendant la guerre, ont été donnés au Musée Zoologique de Strasbourg, ainsi que ses dessins (peintures) faits au microscope et chambre claire. À partir de l’étude de fossiles, il détermina l’âge de la formation des gisements haut-rhinois pour le compte de la Société des Potasses d’Alsace. Ses études sont conservées au musée de la Société, à Mulhouse. Enfin, à Epinal, il constitua son herbier, entre 1942 et 1944.

Description de l’Herbier

1) L’Herbier

Constitué de trois boîtes en métal, vertes, de dimension 453 x 307 x 188, dans lesquelles les planches sont rangées, triées dans des pochettes cartonnées (240 x 320).

Deux boîtes contiennent des Angiospermes, classées dans les chemises par famille, l’autre boîte renfermant des Gymnospermes, des Bryophytes, des Ptéridophytes, des Mycètes et une collection d’algues.

Les planches personnelles de Stehelin sont de papier fort, type papier Canson, généralement de taille 233 x 306. Elles sont au nombre d’environ 320.

Une particularité de cet herbier est que chaque planche porte un dessin, réalisé à l’encre de Chine et à l’aquarelle ou à la peinture à l’huile, signé de la main de Pierre Stehelin. Ces dessins représentent tout ou partie du végétal (dans le cas de plantes de grande taille par exemple), et sont parfois accompagnés de dessins de détail, par exemple de graines, de fruits ou de pièces florales… Pour les Mycètes, figurent bien souvent des dessins sous différents angles ou des dessins des coupes effectuées.

Certaines planches ne portent même que ce dessin, et pas d’échantillon ; c’est le cas de certains ligneux (Euonymus europeaeus, Lonicera periclymenum, Pinus sylvestris, Picea abies…) et de la totalité des Mycètes.

Enfin, certaines planches sont doubles ; elles sont constituées de deux feuilles reliées par un ruban de sparadrap sur le long côté. Ceci a permis à Stehelin de faire figurer un grand dessin sur une planche, et un échantillon le plus complet possible sur l’autre, ou bien de présenter le végétal à différents stades d’évolution.

Les échantillons de végétaux présentés sont collés à la planche et recouverts d’un film transparent.

Ils sont généralement assez bien conservés. Certains spécimens sont parfois détériorés, abîmés, ou ont assez mal vieilli. À ce titre, les dessins constituent un bon témoignage de ce que le végétal était à l’état frais, car ils sont généralement bien précis, à quelques petites erreurs près (par exemple, imprécisions sur la forme des feuilles remarquée sur une planche). On peut ainsi, grâce à eux, se faire une assez bonne idée des couleurs de la plante, des pièces florales, ou du port du végétal.

Sur chaque planche que Stehelin a réalisée, il fait figurer un certain nombre d’informations :

  • Des éléments de classification (famille, genre, espèce, autant que possible, certaines espèces n’ayant pas été identifiées) ce qui permet d’aboutir au nom de la plante selon la nomenclature binomiale latine ;
  • La date (au moins mois et année, parfois seulement mois et année) et le lieu de récolte, pour chaque échantillon sur une même planche si ces données diffèrent ;
  • Le type de station, d’habitat où le spécimen a été récolté (par exemple : en forêt, au jardin… avec parfois une certaine précision : sous-bois de Hêtres, forêt de Sapins…) ;
  • Parfois sont adjoints quelques commentaires sur la morphologie du végétal (pubescence, variabilité de taille ou de teinte…)
  •  Enfin, chaque planche est signée.

Il convient de préciser que certaines planches ne sont pas de Stehelin. Celui-ci aurait visiblement complété sa collection de Bryophytes en incluant certaines planches de la « Flora exsiccata de C. Billot, continué par V. Bavoux, P. Guichard et J. Paillot », de la « Flora exsiccata de C. Billot, continué par X. Vendrely et J. Paillot » ou encore de la « Flora Galliae et Germaniae exsiccata de C. Billot ». Les planches de ces collections ont alors été collées sur des feuilles de papier fort aux mêmes dimensions que celles utilisées pour les planches personnelles de Stehelin. Les planches de cette collection portent, sur leur étiquette, les informations suivantes :

  • Nom du végétal en nomenclature binomiale latine, nom du premier descripteur, pages et référence de l’ouvrage où est parue la première description ; parfois figurent les anciens noms du végétal, accompagnés des mêmes renseignements ;
  • Numéro dans la collection ;
  • Date de récolte (généralement avec jour, moi et année, mais parfois limitée au mois et à l’année) ;
  • Lieu de récolte ;
  • Parfois figurent quelques informations stationnelles (nature du sol, altitude, etc.) ;
  • Nom du collecteur ;

Enfin, aucune algue de la collection n’a été récoltée par lui. Il aurait visiblement ajouté à son herbier la collection d’algues de E. Lemarié. On y retrouve quelques échantillons de la « Flora exsiccata de C. Billot, continué par X. Vendrely et J. Paillot », de la « Flora Galliae et Germaniae exsiccata de C. Billot », et de l’ « Herbier de la société Linnéenne de la Charente Inférieure ». Hormis ces échantillons, la plupart des autres ne portent que très peu d’informations. On y trouve simplement le nom en nomenclature binomiale latine, parfois accompagné du lieu de récolte, de la date de récolte (généralement limitée à l’année, parfois avec le mois) et exceptionnellement du nom du collecteur.

2) Les récoltes

Pierre Stehelin a effectuée l’essentiel de ses récoltes à Epinal (183 planches). Un nombre non négligeable de planches ont été réalisées à partir d’échantillons récoltés à La Bresse (47 planches), parfois au Lac de Blanchemer (5 planches).

On dispose rarement d’informations plus précises, si ce n’est l’habitat. Un certain nombre de plantes ont été récoltées « Au Champ de Tir » ou « Près du Champ de Tir » , quelques unes « Au cours ». Pinus nigra provient du « Parc du château », Lycopodium clavatum du « Vallon St Antoine », Coprinus comatus au « Champ de Mars ».

En terme de station, les prés, les forêts, les bords de chemins, les jardins sont les lieux qui reviennent le plus souvent. Les marécages et les zones humides ne sont pas extrêmement représentés. De nombreux Bryophytes et Mycètes ont été récoltés sur du bois mort ou sur des arbres vivants.

Les planches provenant des « Flora exsiccata » sont d’origines très variées. Des localités des Vosges et des Alpes (de Haute-Savoie, plus précisément) reviennent majoritairement, de façon très récurrente. Les Algues de la collection E. Lemarié, lorsque leur provenance est indiquée, ont été récoltées à l’Ile de Ré (13 planches), ou à Royan (6 planches) pour une grande majorité. Quelques spécimens proviennent de l’Ile d’Oléron (2 planches), de Seine inférieure (2 planches) ou de Cherbourg (2 planches). Le Lot-et-Garonne, la Corse, le Nord et la Manche n’ont fourni qu’un spécimen chacun.

Analyse de l’Herbier

Les planches réalisées par Pierre Stehelin présentent les espèces les plus fréquentes des Vosges. De nombreuses espèces forestières, mais aussi champêtres, rudérales ou messicoles sont représentées.

En termes de systématique, de nombreux taxons sont représentés : Algues, Bryophytes, Ptéridophytes, Mycètes,  et Spermaphytes, aussi bien Gymnospermes et Angiospermes.

Cependant, on remarquera que les espèces ligneuses Angiospermes sont fort peu représentées. En effet, seuls quelques arbustes et arbrisseaux figurent dans l’herbier (Euonymus europeaeus, Lonicera periclymenum, Mahonia aquifolium, etc.) Les grands ligneux Angiospermes, représentants de la strate arborée sont totalement absents de l’herbier, alors que de nombreux ligneux Gymnospermes y figurent.

Stehelin semblait intéressé par le règne végétal dans son ensemble (puisqu’à l’époque les Mycètes y étaient rattachés). En témoigne la présence de plantes d’habitats variés, d’une collection d’Algues et de nombreux Bryophytes entièrement rajoutés. Il convient également d’insister sur la collection de dessins de Mycètes (plus de 90 planches !) qui donne un aperçu détaillé de la mycoflore de cette région, souvent ignorée par la plupart des herbiers traditionnels.

Cependant, Stehelin, bien qu’intéressé par les Bryophytes et les Poacées, ne semblait pas particulièrement spécialisés dans ces taxons, car une grande majorité des spécimens récoltés étaient indéterminés (seules 2 Poacées avaient été nommées…) Egalement, 34 Mycètes n’ont pas été identifiés, c'est-à-dire un peu plus du tiers.

Au total, 40 familles d’Angiospermes sont représentées sur plus de 70 planches. Parmi elles, les Asteracea (21 espèces), les Fabacea (13 espèces), les Brassicacea, les  Lamiacea et les Poacea (12 espèces chacune) sont les majoritaires.

On retiendra également la présence de 42 planches d’Algues, de 99 Bryophytes, de 5 Ptéridophytes, de 13 Gymnospermes, et bien sûr des 91 planches de Mycètes.

Parmi les nombreuses plantes fort communes que l’herbier contient, on peut distinguer quelques espèces d’intérêt non négligeable.

À ce titre, on prêtera attention à la planche qui présente plusieurs échantillons de Drosera rotundifolia, qui bénéficie maintenant de la protection nationale. D’autres planches présentent des échantillons de plantes désormais protégées régionalement : Pinguicula vulgaris, Parnassia palustris, et Veronica spicata. Enfin, Arnica Montana est sujet à la Directive Habitats, annexe V.

Mais on trouvera également d’autres spécimens de plantes rares, localisées ou en déclin (Eriophorum latifolium, Anthemis arvensis, Vaccinium oxycoccos, et Pedicularis palustris) ainsi que 3 Orchidées : Orchis latifolia, Dactylorhiza maculata, et Platanthera chloranta.

Enfin, on remarquera la présence de certaines plantes rares à l’état naturel, qui ont été prélevées dans des jardins (Rhodiola rosea, Sedum acre, Taxus baccata par exemple).

Conclusion

L’Herbier constitué par Pierre Stehelin est taxonomiquement assez vaste. En s’occupant de plusieurs taxons, il a rassemblé une collection intéressante de groupes parfois ignorés ou mis de côté (Bryophytes, et surtout Mycètes et Algues) par les botanistes lors de la constitution d’Herbiers.

Cet herbier nous donne donc un bon aperçu de la flore Vosgienne dans les années 1940. Au vu des dates, Stehelin s’était d’abord intéressé aux Champignons (automne - hiver 1942, lors de son arrivée à Epinal), avant de se pencher sur les autres taxons, de automne 1943, où il ne réalisa que des dessins avant d’y adjoindre des échantillons, jusqu’à la fin de l’été 1944, ce qui correspond à la date de sa déportation.

De tels herbiers étaient souvent constitués des plantes les plus répandues. Ainsi, cet Herbier apporte un témoignage floristique de son époque, où visiblement la Drosera était encore plutôt répandue, puisque la planche de l’Herbier de Stehelin ne comporte pas moins de 6 pieds de cette plante …

À terme intégré dans la base de données de l’Herbier de l’Université Louis Pasteur (STR), puis intégré aux collections, l’Herbier de Pierre Stehelin apporte de nouvelles informations et de nouveaux spécimens de la flore des Vosges.